Persuasion, version Netflix

Il y a quelque temps Netflix sortait un trailer pour une prochaine adaptation filmique d’un roman de Jane Austen : Persuasion. Ce n’est pas forcément son œuvre le plus connue mais c’est un livre qui est souvent apprécié. Il faut savoir que l’histoire se déroule avec une héroïne plus âgée (27 ans), a été écrite sur le tard et dégage de ce fait un ton assez différent du reste des autres ouvrages de l’autrice.

La première fois que j’ai lu Persuasion, j’ai senti une forme de mélancolie, de bilan sur une vie et des choix faits, des regrets…sans pour autant être dénué d’un certain regard perçant sur le microcosme social (mais moins). Nous sommes loin des jeunes femmes qui tentent de se faire une place dans le monde ou qui tombent amoureuses. Non ici, Anne, l’héroïne, a aimé. Elle sait quels sentiments cela procure en bien comme en mal. Elle ne rêve plus et accepte le sort de vieille fille qui l’attend avec stoïcisme et résolution, portée par le regret des choix qu’elle a fait mais qu’elle assume. Ici les anciens tourtereaux s’évaluent à distance, par des gestes, des attentions, des regards. On jauge le caractère de l’autre.

Tellement intemporelle qu’il a fallu la moderniser

Il faut savoir une chose avec les adeptes des period drama et des adaptations littéraires, c’est qu’ils sont très à cheval sur le respect de l’œuvre et de l’époque d’origine, en particulier s’il s’agit de Austen. Certes, il est tout à fait possible de faire des versions plus contemporaines ou de transposer l’intrigue à nos jours pour être plus actuel (l’exemple de clueless). Néanmoins, il y a toujours des fans pour cracher, voire descendre toute forme d’adaptation si elle ne représente pas la beauté et la grandeur du livre à leurs yeux. En somme, il est très difficile de satisfaire certains fans ardus. J’avoue en avoir quelque part fait parti. Il m’était en effet plus difficile de visionner un film ou une série adapté.e d’un roman que j’apprécie ou que j’ai lu récemment, alors qu’à l’inverse je suis moins critique en voyant le film avant de lire de livre. J’ai par exemple refusé d’aller voir la version 2005 de P&P au cinéma car rien ne pouvait dépasser la version 95. Avec le temps, j’ai pris un peu de maturité (je l’espère) et je suis capable de visionner une œuvre pour ce qu’elle est avec ses qualités et ses défauts. Cependant, j’ai l’impression que certaines personnes manquent de ce recul ou ne souhaite pas l’avoir et continue de s’acharner sans vergogne.

Bref. Netflix sort une bande annonce pour une nouvelle adaptation de Persuasion. La dernière en date est de 2007, soit il y a 15 ans, ce qui commence à dater. Celle d’avant était de 1995 et celle encore avant de 1971. Donc on peut avoir une nouvelle version de Persuasion environ tout les douze ans en moyenne. Ce n’est pas non plus l’œuvre la plus adaptée comme vous le voyez. Pour en revenir à la version 2022, la joie de la surprise de sa venue, laisse à une forme de dégoût au mieux de circonspection. Le peu que l’on nous montre laisse présager une version actualisée avec un ton résolument plus moderne, que cela soit dans le vocabulaire choisi que dans les choix de mise en scène avec des dialogues et des clins d’œil avec le spectateur façon Fleabag. Mais surtout, ce qui a été retenu, c’est l’humour. Or, Persuasion n’est pas une œuvre humoristique. Nous sommes loin des petites piques ironiques et sarcastiques d’œuvre comme P&P.

Effectivement, en s’éloignant du ton original, on peut craindre quelque part que l’œuvre soit dénaturée. Le fait de rendre Anne Elliot plus « vivante » dans son cercle familiale proche, avec ses neveux par exemple ne me gêne pas. Pas plus que de prendre des risques avec des partis pris de mise en scène. Mais le tout mis ensemble peut être déconcertant.

Sans trop aller regarder les avis, j’ai visionné Persuasion. Je n’ai pas passé un mauvais moment. Je n’en ai pas passé un excellent non plus.

Le film était visuellement intéressant, dans ces choix de couleurs, de décors et de tenues. J’ai envie d’appeler ce type de film « film macaron » avec ce type de colorimétries dans les tons pastel et délavés mais recherchés.

Le film suit globalement l’histoire dans trop faire de digressions, quand les événements se passent à Bath, nous sommes bien à Bath. Il y a bien des suppressions de personnages comme l’amie de Anne, Mme Smith tombée dans la pauvreté. Sa disparition ne m’a pas vraiment émue car je n’appréciais pas le personnage. Elle avait un intérêt scénaristique : révéler la perfidie de l’antagoniste de l’histoire mais n’était pas, selon moi, un personnage sympathique car très intéressée en amitié. La version 2007 n’avait pas su trop quoi en faire et les révélations de fin, dont celles de Smith, arrivaient toutes les unes après les autres comme par magie. Ici en 2022, les éléments apportés par Smith sont énoncés directement par le personnage concerné (Mr. Elliot) sans ambages et de ce fait ne font pas de lui un « méchant » mais quelqu’un avec une vision différente, assez honnête avec lui-même et les autres. Ce qui change fondamentalement le personnage. Sans oublier la fin. Son intérêt pour Anne s’envole pour aller convoler soudainement en juste noce, parce que l’amour à ses raisons (!).

Et des personnages qui changent, il y en a plein. A croire que leur noyau central, leur essence a été modifiés pour en faire autre chose qui n’a plus de sens si on reste dans un contexte austenien.

Lady Russell est la marraine de Anne ayant une certaine influence sur cette dernière puisqu’elle est à l’origine du refus de sa filleule d’épouser Wentworth. Elle a donc une certaine emprise sur elle. Ici c’est juste une bonne copine qui se rend compte qu’elle s’est fourvoyée et s’amende, ce qui change la dynamique. Wentworth calme et stoïque devient ici un homme blessé en amour et tout cela transparait sur son visage comme s’il était chaque fois sur le point de pleurer. Il devient d’un homme un peu amer, un homme sensible qui parle à cœur ouvert et se rend compte qu’il a encouragé des inclinaisons malheureuses.

De même, le film essaie de passer des messages féministes, mais les propos et les préoccupations du début du XIXe ne sont pas celles du XXe. Donc Anne qui nous dit que les femmes sont grandes, belles, fortes et n’ont pas besoin de maris (en gros) et Lady Russell qui fait des croisières pour célibataire pour s’enjailler auprès de jeunes hommes, c’est mal connaître le contexte dans lequel les femmes évoluaient lorsqu’Auten a écrit son roman. Le féminisme peut prendre diverses formes sans qu’on nous balance à la figure la femme forte et indépendante dans des dialogues hors de propos et peu subtils.

Oui nous sommes bien à la bonne époque, dans les bons lieux avec quasi tout les personnages de l’histoire original mais ce n’est pas Persuasion. C’est une comédie romantique américaine (quoique avec un côté Bridget Jones) avec un vocabulaire de comédie romantique contemporain.

C’est malheureusement un tort, causé par beaucoup d’adaptation de Austen. Les œuvres de Jane Austen ne sont pas romantiques et n’appartiennent pas au domaine de la comédie romantique. Mais passons sur cet écueil assez récurrent.

Si les apartés de Anne peuvent être intéressante, comme nous faire prendre conscience de ses tourments intérieurs, ici l’utilisation est surtout fait avec une visée humoristique, même lorsque l’on parle de sentiments tristes. 8 ans après Anne se morfond toujours dans sa baignoire ou au fond de son lit telle une ado, mais en noyant son chagrin dans des bouteilles de vin telle une célibataire en mal d’amour, mal dans sa peau et « vieille fille » façon Bridget Johns. On est loin de la Anne du roman.

Anne est un personnage discret, assez introvertie qui a du mal à s’épanouir ou s’émanciper entre d’un côté un père et une sœur imbus de leur personne, de leur apparence et de leur classe sociale et de l’autre une sœur hypocondriaque. Anne est entourée de gens qui tirent la couverture vers eux, en constant besoin d’attention. Certes, elle est étouffée avec une telle compagnie ce qui la rend effacée mais en même temps c’est la seule avec les pieds sur terre, raisonnable et pragmatique en toutes circonstances.

Non Anne n’est pas quelqu’un qui se laisse aller, ce n’est pas non plus une héroïne piquante et libre. Anne n’enchaîne pas les bourdes, ne parle pas sans savoir, ne provoque pas des malaises dans l’assistance en balançant ce qui lui passe par la tête, pas plus qu’elle ne drague ou se laisse flatter. Elle est loin de nos canons contemporains, comme elle est loin d’Elizabeth Bennet qui est un peu le maitre étalon.

De souvenir, elle et Wentworth n’ont que peu d’interactions entre eux dans le roman. Tout est du point de vue d’Anne, de ce fait le capitaine nous parait froid et distant car on ne sait pas ce qu’il pense. Le lecteur, comme Anne, a tout loisir d’extrapoler son comportement aux regards de ses faits et gestes. On sent qu’il lui en veut, qu’il lui reproche son manque de caractère, le fait d’être trop facilement influençable. Mais peut-on vraiment en vouloir à Anne pour cela dans une période où le statut et l’avenir des femmes est précaire et définit par les mariages qu’elles feront ? Wentworth se permet donc quelques piques à l’encontre de celle qu’il aima jadis, tout en reconnaissant ses qualités.

Tout au long du roman Anne s’épanouie, s’il ne s’agit pas de changement radical, c’est plus dans son comportement. Elle semble rayonner, prendre en assurance et devenir jolie. Et, cela peu à peu le capitaine le remarque. Tout les deux parlent peu, n’ont pas de grandes envolées romantiques, ni de discussions à cœur ouvert. Il faut lire entre les lignes, observer, écouter. Il y a donc une forme de subtilité qui, en 2022, n’existe pas ou plus. Non ici, les gens doivent se dirent les choses directement, mettre les points sur les « i ». Si quelque part c’est dans l’air du temps l’honnêteté et la communication, cela se fait au détriment de la subtilité. Je peux donc comprendre les gens qui se sont sentis insultés par le besoin qu’à le film de tout expliciter, de tout dire, sans laisser suggérer. En somme, prendre le spectateur pour un débile sans cerveau biberonné aux trucs formatés.

Une chose que j’ai remarqué est que, sur quasi 2h de film, les personnages peinent à exister. On se souvient tous des soupirs agacés et des yeux levés au ciel de Hugh Laurie dans Raison et sentiments de 1995 quand bien même le personnage n’avait que peu de temps à l’écran. Dans les romans de Austen, il y a toujours pléthore de personnage secondaires, parfois peu présent mais toujours savoureux à leur manière. Persuasion n’en manque donc pas et pourtant il est difficile de souvenirs d’eux dans la version 2022. Seul Mary la sœur hypocondriaque (et le père) arrive à tirer son épingle du jeu, en faisant preuve d’un égoïsme à toute épreuve et d’un désintérêt total pour sa progéniture. D’un côté, on arrive à la comprendre. C’est vrai, pourquoi parce qu’elle est devenue mère devrait-elle toujours être celle qui se sacrifie pour eux ? Si un de ses enfants est mal en point, son mari considère qu’il est normal qu’il aille au dîner ses parents pendant qu’elle reste au chevet de leur fils, pas qu’ils annulent et restent tout les deux.

Pourtant le film essaie. On nous montre un Sir Elliot imbue de sa personnage et de son apparence avec ses multiples tableaux de lui-même, un capitaine Harville sympathique et amoureux de sa femme, les Croft en couple harmonieux, les parents des Musgroves, les neveux de Anne et sa relation avec, Lady Darymple et sa fille comme inintéressantes et ennuyeuses malgré leurs titres (limite cette intrigue aurait pu disparaitre tellement elle est sous exploitée). Il y a des tentatives et pourtant rien ne ressort vraiment.

Concernant le casting général, on sent bien que Bridgerton est passé par là. Sauf que Bridgerton est une fiction fantaisiste d’une régence anglaise fantasmée par une américaine. L’œuvre peut donc se permettre de ne pas être réaliste et d’avoir une pléiade d’acteurs venus de tous horizons sans véracité historique sans que cela choque. Ici on a un roman d’époque, adapté version 2022. Ce qui donne un tout bancal. On suit l’histoire originale mais on change les personnages, ça se passe à la régence mais avec des anachronismes, on modernise les dialogues mais pas tout le temps, etc.

Je reviens sur la modernisation, en particulier dans les dialogues. Cela en a fait grincer des dents plus d’un et d’une de voir qu’on parlait de « playlist », « d’exes », qu’on notait les mecs sur leur désirabilité…effectivement certaines blagues (comme la notation) sont directement reprise de romcom américaine et totalement anachronique. C’est alors posée une question – à mon sens pertinente- est-il nécessaire de toujours tout moderniser ? Je veux bien croire que certaines œuvres s’y prêtent plus que d’autres, que cela permet de donner une autre version de l’œuvre originale, d’attirer de nouveaux spectateurs/lecteurs mais Persuasion n’était peut être pas le roman pour cela. Certains regardent justement des périodes drama pour les dialogues et les costumes donc si ce n’est pas pour les retrouver quel intérêt ? De même, lorsqu’on visionne un film adapté d’un roman qu’on aime, on s’attend à retrouver l’essence de ce dernier ou au moins les scènes iconiques.

On modernise ici les dialogues, on brise le quatrième mur, on met de la musique plus dans l’aire du temps, on change les personnages pour en faire des stéréotypes de romcom…en somme c’est comme si Netflix avait pris ça et là des morceaux d’éléments qui fonctionnent ailleurs, les avait mis ensemble mais sans comprendre pourquoi cela fonctionne dans d’autres œuvres, ni sans comprendre la base du roman qu’ils ont choisi d’adapter. Certains effets fonctionnent parfois mais sans doute plus par erreurs. Finalement, ce Persuasion 2022 en dit plus sur notre époque et la plateforme qui l’adapte que sur le roman de Jane Austen.

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